Visite à CALAIS avec les Jeunes de l’ANA-INHESJ – juin 2016
Le 28 juin 2016 nous étions accueillis par le sous-préfet de Calais, le directeur de la PAF et le commissaire de police M. Visser-Bourdon chargé de la sécurité publique et de la sécurité de la Lande.
D’emblée ils nous indiquent que la situation de Calais est une situation évolutive et que l’on ne sait pas ce qui va se passer après le Brexit.
Nos interlocuteurs nous dressent un historique de la situation à Calais avent d’évoquer les problèmes actuels.
I. Historique
Le phénomène migratoire à Calais débute dans les années 1999-2000 avec les ressortissants du Kosovo qui contournent les contrôles. Ce fut ensuite le conflit au Moyen Orient qui se développe après le 11 septembre 2001 et qui engendre des mouvements de populations.
A ceci s’ajoute le fait que l’accord de Sangatte du 25 juin 1991 entre la France e le Royaume-Uni relatif à l’exercice des compétences régaliennes de ces États dans le cadre de la protection du tunnel sous la Manche s’est révélé insuffisant. Les clôtures de l’entrée du tunnel sous la Manche étaient sous dimensionnées et engendraient un afflux de candidats à l’immigration vers le Royaume -Uni. Ce problème est à l’origine du Protocole additionnel du Touquet du 18 juin 2007 qui instaure un contrôle des voyageurs et des infrastructures. L’effet immédiat de cet accord a été une baisse de la pression migratoire sur Sangatte mais elle ne fut que provisoire. L’arrivée notamment des Afghans en 2008-2009 a réactivé cette pression. Ils étaient 1000 en 2009 et recherchaient un éloignement maximum de leur pays d’origine. Cette organisation a été démantelée à l’époque.
En 2014 on sent les prémices d’une véritable crise migratoire avec les arrivées à Lampedusa de 3 000 personnes. Celle-ci se confirme en 2015 avec l’arrivée de 5000 à 6000 personnes en provenance de la zone des Balkans. En 2015, 2000 personnes sont entrées dans la zone de Calais.
Les autorités ont rendu moins attractif le port en construisant une rocade portuaire rendant plus difficile l’accès au port et en renforçant la sécurité du tunnel.
II. L’accès à la zone de Calais et à l’Angleterre
Cet accès prend quatre formes :
– Le passage par l’Eurotunnel ; le tunnel comme la ville de Calais relèvent de la compétence exclusive de la PAF ;
– Le passage directement sur le site par le train : autoroute ferroviaire pour les camions (ce qui a un impact sur le port et sur le fret) ; on est passé d’un train par jour à cinq !
– Le train de marchandises via l’autoroute ferroviaire ;
La mer, traversée à l’aide de zodiacs pour un prix variant entre 3000 € et 10 000 €. C’est une opération qui présente de gros risques.
Ces trois derniers procédés relèvent de la compétence des CRS et de la Sécurité publique.
La nationalité des migrants est essentiellement : afghane, érythréenne, soudanaise mais contrairement à ce que l’on pense il y a très peu de Syriens.
La recrudescence des arrivées a entraîné un accroissement des problèmes de surveillance des axes routiers notamment entre Paris et Calais. Les migrants montent à bord des camions de plus en plus loin de Calais, ce qui rend difficile de prévoir une stratégie globale. A la surveillance des camions s’ajoute la surveillance des abords de l’autoroute car les migrants traversent l’autoroute sans précautions ce qui entraîne beaucoup de morts et de blessés. Il y a peu de rapatriement car les pays concernés ne veulent pas faire d’effort pour rapatrier les corps.
III. Les passeurs
Il y a toute une typologie de passeurs depuis celui qui ferme la porte du camion dans lequel sont montés des migrants (nécessité technique : la porte ne se ferme pas de l’intérieur) jusqu’à celui qui organise le voyage de bout en bout jusqu’à l’Angleterre.
Le prix de ces passages « sécurisé » est d’environ 4000 livres sterling par migrant, ce qui rapporte davantage aux passeurs que le trafic de drogues ! C’est essentiellement la Mafia et la criminalité organisée qui prennent les migrants en charge. Ce sont essentiellement des Albanais, des Kurdes et des Afghans. Il n’y a pas de filière érythréenne ou soudanaise bien qu’il puisse y avoir des initiatives individuelles. 7 % seulement des personnes prises
en charge par les passeurs sont des femmes de 15 à 30 ans mais elles sont souvent écartées pour des raisons de résistance physique.
Les tarifs sont variables selon la prestation fournie en moyenne entre 1500 et 2000 euros et selon la nationalité du réfugié le tarif peut atteindre 10 000 euros !
Les migrants paient au départ une certaine somme, réunie par la famille ou les villageois qui se sont cotisés, le reste est débloqué au fur et à mesure de l’exécution du contrat. Les migrants n’ont qu’une seule idée : Calais . Ils ne souhaitent pas aller ailleurs mais les passeurs peuvent les diriger vers d’autres ports : Cherbourg ou les ports belges.
IV. L’accueil
L’accueil des migrants s’est d’abord fait en centre-ville. Les Calaisiens sont très accueillants (les manifestants viennent d’ailleurs). Ils ont organisé de centres pour les nourrir ce qui présente un aspect positif pour la ville, mais d ‘un autre côté certains migrants ont été cachés. L’augmentation de leur nombre jusqu’à 6000 personnes a nécessité une localisation différente.
Les migrants se sont déplacés dans un petit bois (jingle en afghan) qui est devenu le camp Jules Ferry, autrefois Centre aéré de Calais pour les enfants, puis « La Lande ».
Les femmes et les enfants sont accueillis et protégés dans des locaux spécifiques.
La « Jungle » est actuellement scindée en deux parties : un centre d’accueil provisoire qui permet de loger 1500 migrants dans des containers aménagés et qui dispose d’une salle de convivialité et 3000 personnes qui sont regroupées sur une bande de terrain d’une centaine de mètres entre le camp et la zone portuaire et qui vivent dans des tentes ou des aménagements de fortune qui ressemblent assez aux bidonvilles des année 1960 dans la région parisienne.
Le centre d’accueil provisoire (CAP) est géré par l’association « La Vie Active » : 160 personnes y travaillent de 8 h à 20 h. Il sert 2500 repas par jour : un petit déjeuner et un repas complet par jour, sans viande de porc. Il existe des échoppes qui vendent des produits alimentaires mais aussi toutes sortes de marchandises.
Le commerce s’exerce sans aucune licence, aucun contrôle, aucun impôt ce qui crée un problème vis-à-vis des commerçants calaisiens. Mais l’exercice d’un contrôle sur ces activités pose aussi un problème à l’administration. Si les autorités imposent des autorisations, cela revient à reconnaître la légalité de cet état de fait. Or il est très difficile de contrôler des choses illégales !
Il faut cependant concilier sécurité et poumon économique.
V. Les problèmes
D’autres camps se constituent comme à Dunkerque. La Sécurité est assurée par les forces mobiles dont 15 % sont mobilisées à Calais, cela peut atteindre 13 compagnies, actuellement huit seulement sont mobilisées. Cependant on ne peut pas laisser autant de CRS /gardes mobiles mobilisés à ces endroits, d’où la création de fossés, de murs, de protection des axes routiers…
La présence de cette population donne naissance à un contentieux pénal de masse sans autre exemple en France. Mais les services ne peuvent pas traiter des milliers de personnes. Un certain nombre d’infractions sont liées à l’espoir de pouvoir passer en Angleterre.
Ces migrants peuvent circuler librement, ils ne sont pas prisonniers et peuvent demander l’asile en France. Deux cent personnes disparaissent de « la Lande » par semaine, on ne sait pas où elles partent (Angleterre ?). A titre de comparaison, il y a 50 départs volontaires dans les Centres d’accueil et d’orientation (CAO) régionaux.
Il faut savoir que le camionneur qui va livrer en Angleterre doit délivrer une cargaison impeccable. Si ce n’est pas le cas, la cargaison est refusée et le prix de celle-ci est retenu sur son salaire notamment par les employeurs des pays de l’Est. En outre, les Britanniques ont institué des sanctions à l’encontre des chauffeurs transportant des migrants. Il y a différents procédés pour détecter la présence de personnes dans un camion (par exemple le test du gaz carbonique).
Certains camionneurs ont alors essayé de se défendre contre l’assaut des migrants mais ceux-ci se sont armés de couteaux, de barres de fer… qu’ils utilisent à l’encontre des chauffeurs récalcitrants. Il y avait des attaques toutes les nuits. Les migrants agressent aussi les camionneurs pour leur prendre leur argent. Fin 2014 il y a eu des affrontements à la suite desquels les portes arrières des camions ont été cadenassées. Mais il n’y a aucune poursuite pénale à l’encontre des migrants qui pénètrent dans un camion. Depuis fin avril des contrôles sont effectués toutes les nuits entre minuit et six heures du matin.
Pour assurer la sécurité et le maintien de l’ordre, la police doit discuter avec les différentes communautés, notamment les Afghans, bien que nous ne reconnaissions pas officiellement les communautés. Le commissaire nous explique qu’il Il est difficile de se faire reconnaître par les différentes communautés mais une fois qu’on est « adopté » il n‘y a plus de problèmes. Ceci implique une personnalisation importante des différentes questions de sécurité. Par ailleurs, la police manque d’interprète.
La population est très pauvre et rencontre un certain nombre de difficultés : il n’y a pas de cambriolages mais quelques vols à l’étalage et des vols de téléphones portables. Il y a d’ailleurs un centre de rechargement de ceux-ci à l’intérieur du site. Il y a aussi des problèmes de sexualité pour les Afghans en raison de la pratique qui consiste à confier les petits garçons à des oncles ou des parents chargés d’en assurer la protection. En revanche, il y a peu de problème de drogue.
Des espaces particuliers sont réservés dans les cimetières mais l’identité incertaine de beaucoup de ces personnes pose problème.
VI. Le Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, l’entrée et le séjour des étrangers relèvent du droit administratif alors qu’en France, ce problème est à la fois administratif et pénal.
Les accords de Sangatte prévoient, pour des raisons d’exploitation, que le contrôle à la sortie et à l’entrée s’exerce du côté français. Ce concept a été étendu en 2003 à Dunkerque et à Douvres. Il n’y a pas de sanction particulière sinon le refoulement.
Les Britanniques imposent des amendes aux transporteurs ce qui soulève l‘incompréhension de ces derniers. D’un autre côté les transporteurs s’inquiètent des dégradations apportées aux marchandises transportées.
Au Royaume-Uni, « l’Habeas Corpus » empêche les contrôles d’identité et le régime de l’asile est plus avantageux qu’en France. Chaque communauté est autonome contrairement à leur situation en droit français.
La visite s’achève après avoir parcouru le camp Jules Ferry et assisté à la distribution des repas.
Nous remercions M. Vincent BERTON, sous-préfet de Calais, Philippe NOUARAULT, directeur de la PAF et le commissaire de police, Patrick VISSER-BOURDON, qui nous ont très aimablement accueillis
Nous remercions également la directrice adjointe de l’association, Mme Sophonie PERARD, qui nous a guidés dans notre visite du Camp Jules Ferry et qui a eu l’amabilité de mettre un véhicule à notre disposition pour nous reconduire à la gare de Calais.
Il convient également de remercier vivement les Auditeurs Jeunes de l’ANA-INHESJ qui ont eu l’initiative de cette visite et son organisation, en particulier, Hugo HALLARY qui en a été le réalisateur sur le terrain.
Nicole GUIMEZANES, vice-présidente de l’ANA-INHESJ
Alexis MALAIZE représentant jeune de l’ANA-INHESJ