De la relativité des soucis
Par Christian Fremaux, avocat honoraire et élu local.
A propos de la réforme des retraites à vocation universelle en discussion ou plutôt en dispersion façon puzzle en raison des multiples dérogations, loin de moi de nier le mécontentement d’une partie de la population mais je n’aime pas la haine qui est inadmissible envers M.Macron régulièrement élu et qui avait annoncé cette réforme dans son programme, le rejet de son gouvernement et de ceux qu’on appelle les « riches » pour faire court injure que l’on accole aux privilégiés de toute nature par exemple pour ceux qui ont une fonction à vie, ou les cadres sans oublier les patrons. On crée la jalousie et la comparaison entre classes sociales, c’est une régression. On peut ne pas être d’accord sur un changement ou une réforme, faire connaitre ses critiques de façon virile mais bloquer le pays, se servir de la violence pour faire pression et vouloir avoir absolument raison est inadmissible alors que les syndicats ne représentent qu’un infime pourcentage de ceux qui travaillent qu’ils soient salariés ou fonctionnaires ou assimilés avec la sécurité de l’emploi ce qui est un avantage considérable. Et en oubliant les commerçants, artisans, professions libérales ou autres catégories qui n’ont pas les mêmes intérêts – ou ont des régimes autonomes bénéficiaires – que les adhérents de la cgt ou des syndicats vindicatifs et en méprisant les agriculteurs, les femmes, ceux et celles qui ont eu des carrières hâchées, ceux qui ont changé de métiers plusieurs fois et les catégories qui ne bénéficient d’aucun régime spécial. Enfin en ignorant ceux qui n’ont pas bénéficié de la mondialisation ou qui en sont protégés par un statut et qui travaillent en n’ayant aucun avantage avec des perspectives inexistantes pour leur retraite et pour qui la réforme est positive.
Je ne dis pas que le gouvernement a forcément la science infuse sur tout et s’y est bien pris : pour moi il a mal vendu son projet car après plus de 18 mois de rencontre de M.Delevoye avec toutes sortes de français et de représentants syndicaux , avec en plus l’itinérance du président lui-même dans toute la France pour le grand dialogue national, il est grave que l’exécutif n’ait pas pu comprendre que la théorie du système universel était parfaite sur le papier, dans un monde non conflictuel où chacun serait gagnant et où l’Etat ferait des économies. Il n’a pas anticipé la réalité du terrain et les intérêts individuels car personne n’a envie de se sacrifier pour les autres on s’en aperçoit dans tous les domaines. C’est une tendance du moment qui répond à l’individualisme et le tout pour soi. Il fallait laisser tranquilles les spécificités justifiées tout en leur demandant éventuellement un peu plus de solidarité nationale, maintenir le régime des professions qui ne coûtent rien aux contribuables, et simplement corriger les inégalités de ceux qui sont en galère et méritent que la société les aide. En intégrant aussi au cas par cas la pénibilité qui permet de rétablir la justice voire l’équité.
Bien sûr les régimes spéciaux n’ont plus de justification mais il fallait programmer leur disparition dans un temps pas trop éloigné et le rétablissement du financement-qui peut être discuté à part- mettant durablement fin aux déficits pouvait être conçu moins brutalement peut être en permettant aussi aux seniors qui ont l’expérience de rester en activité s’ils le veulent. Ce qui donne des cotisations. Car il faut bien que les déficits cessent maintenant ou un peu plus tard. On ne peut vivre dans le déni et croire que ce sont toujours les autres qui paient. Que l’on responsabilise les partenaires sociaux et qu’on leur confie le soin de trouver des solutions financières pour éviter la faillite. Et on ne parlera plus de l’âge « pivot ou d’équilibre » qui cristallise les oppositions. Les conseilleurs deviendront ceux qui ont choisi les payeurs. On n’est plus à quelques semaines près. C’est ce qui va peut -être advenir avec le compromis réclamé par le président de la république. Il ne faut ni gagnant ni perdant dans un tel conflit, la satisfaction de son égo et d’avoir eu le dernier mot ne rimant à rien. Il n’y a aucune honte pour les uns à reconnaitre que l’on a imaginé un projet qui a été mal étudié, que des critiques sont positives, et admettre pour les autres qu’il y a une partie de bon dans ce qui est proposé et qu’il faut savoir abandonner ce qui est désormais reconnu comme des privilèges. Il faut un match nul : entre les syndicats la cgt notamment qui dit non et surtout les autres syndicats qui réfléchissent avec le gouvernement ,chacun aura marqué un but. Balle au centre. Mais je crains que la facture finale soit lourde et que les économies recherchées tardent à venir.
Pour moi ce débat sur les retraites est le rejet de la valeur travail qui affranchit l’homme. Parmi les opposants au projet il y a des lycéens qui font encore leurs études et des étudiants qui n’ont pas commencé à travailler. Je m’étonne qu’à 16,18,20 ou 22 ans on songe déjà à la retraite ce qui voudrait dire que la vie idéale est celle où l’on ne fait plus rien, que l’on ne participe plus activement aux besoins de la société et à la croissance pour tous, et que le monde de la pétanque ou celui de « buller » en se repliant sur soi et ses proches est l’objectif ultime ? Je n’insiste pas chacun répondra à cette interrogation et en tirera les conclusions qui s’imposent.
L’Europe nous donne des exemples. L’âge pivot est plus proche de 65 ou 67 ans voire plus que celui proposé par le gouvernement ou les 60 ans réclamés par la cgt. Les citoyens de ces pays sont -ils plus maltraités socialement et leurs démocraties sont- elles inférieures aux autres et en particulier à la France ? Quel pays a réussi à résoudre la quadrature du cercle et à trouver des systèmes de gouvernance ou de répartition dont celui des retraites qui plaisent à tous ? Nous n’avons pas besoin de l’exemple de la Suède ou autre. La France a longtemps été le phare de l’Europe voire du monde par sa démocratie et son système de redistribution, ses philosophes, ses droits de l’homme. A nous d’inventer notre modèle moderne dans cette nouvelle décennie. Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.
Nous devons retrouver la paix intérieure et trouver une solution consensuelle qui nous fasse honneur et n’appelle pas à une guerre larvée de revanches. Elle ne plaira pas à tout le monde mais il faut passer à d’autres sujets, comme la transition écologique et la fin du mois et non celle du monde comme le signalent les gilets jaunes qui apparaissent plus réalistes que la cgt : c’est un comble on aura tout vu et entendu !Il faut aussi se concentrer sur le terrorisme (on a encore vécu des drames par des attentats individuels) ; la croissance ( les grèves et les manifestations coûtent des milliards que le contribuable va devoir combler un jour ou l’autre) et le partage des richesses ; l’équilibre du monde, le niveau de vie de nos voisins notamment africains ,notre protection (nos militaires sont tués au sahel) ; la réparation des dégâts naturels liés aux inondations ou autres phénomènes : les victimes ont besoin de notre solidarité et de notre compassion ; la laïcité car le communautarisme démolit sournoisement les valeurs de la république ; nos réflexions en matière d’éthique et de bio-éthique qui vont changer l’approche de l’humain… Nous avons des choix collectifs à faire qui doivent ensuite s’imposer à ceux -les minorités – qui ne sont pas d’accord, car en démocratie c’est la majorité issue de l’élection qui est le souverain et pas les groupuscules dans la rue qui pensent détenir la vérité. Les élections municipales de Mars 2020 ne doivent pas être polluées par ces conflits. Il nous faut des élus compétents sur le terrain, pas idéologues mais dévoués pour bâtir dans les 6 ans dans l’intérêt général et non pas en fonction de statuts ou privilèges. La république commence et finit là où les citoyens habitent.
Mais il faut relativiser ce qui se passe. Pendant que nous sommes dans une quasi guerre de tranchée dans l’hexagone, le monde se détruit et parfois les populations survivent. La guerre est partout avec son cortège de morts et de destructions. L’escalade entre les USA et l’Iran peut conduire par le jeu des alliances et des provocations réciproques à des conséquences dramatiques. La Turquie poursuit son hégémonie. Les groupes terroristes n’ont presque plus de territoires en Orient mais ils ont conservé leur capacité de nuisance et essaient de se rétablir au sahel ou en Lybie c’est à dire à nos portes.
Les soucis doivent donc s’atténuer. Soyons responsables et devenons des adultes. La raison doit l’emporter. Tout le reste est polémiques qui ne nous grandissent pas.